Entretien
Marie-Jo Thiel : sortir de l'entre-soi

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Professeure émérite à la faculté de théologie catholique de Strasbourg, Marie-Jo Thiel a écrit de nombreux ouvrages sur le thème des abus au sein de son Église.

 

Quels sont les éléments structurels et théologiques qui peuvent favoriser les abus de pouvoir au sein d’une Église ? Sont-ils transversaux aux différentes confessions ?

Le pouvoir est d’abord une notion attractive ! De fait, vouloir et pouvoir dire, faire, appartient au registre du grouillement de la vie ! Mais trouver le juste équilibre pour ne pas tomber dans l’oppression ou l’excès de pouvoir ne va pas de soi. Et tout individu reste tenté d’aller trop loin et d’exercer une emprise, a fortiori quand à son pouvoir socio-politique s’ajoute un pouvoir spirituel. Et l’Église est concernée par les deux. Parler d’abus systémique, comme le font la Ciase, l’Église catholique et la Fédération protestante de France (FPF) dans sa publication récente Les violences sexuelles et spirituelles dans le protestantisme, permet de ne pas s’en tenir, même si cela est nécessaire, à la seule structuration psychique d’un sujet mais d’examiner aussi les éléments institutionnels, qu’ils soient structurels et/ou théologiques, les facteurs ecclésiaux, dogmatiques, pastoraux, liturgiques, sacramentels, anthropologiques, d’analyse des Écritures… car tout peut contribuer et surtout être utilisé pour justifier des abus commis, qu’ils soient de pouvoir, de conscience, psychologiques, spirituels et/ou sexuels… Et cela d’autant qu’il existe toujours une tendance de toute institution, ecclésiale et autre, à « protéger » celle-ci plus que de raison, et donc à couvrir des actes scandaleux. Aucune Église n’est à l’abri et la prévention reste toujours nécessaire, ici comme en d’autres lieux.

Vous parlez notamment de hiérarcalisme… Pouvez-vous revenir sur cette notion et son rôle dans les abus de pouvoir ?

C’est le théologien jésuite James Keenan qui a probablement forgé ce concept. Je l’utilise dans mes écrits pour évoquer une focalisation excessive sur la hiérarchie, en lien avec le patriarcalisme qui reste toujours présent dans nos sociétés et surtout dans les religions, quand bien même des efforts notoires ont été faits. Il suffit d’examiner la place des femmes pour s’en souvenir : dans la ligne de nos sociétés, la parité ne sera pas atteinte avant 300 ans ! Mais, dans les Églises, le patriarcalisme est encore bien plus prégnant pour des raisons théologiques et spirituelles comme un excès de focalisation sur la paternité de Dieu au détriment des deux autres personnes de la Trinité. En découle un hiérarcalisme c’est-à-dire un excès hiérarchique dans la structuration institutionnelle, une tendance à la sacralisation des détenteurs de positions spirituelles et de pouvoir, d’autant plus quand les pouvoirs judiciaires, législatifs et exécutifs ne sont pas séparés (dans l’Église catholique), et que le savoir et les décisions sont mal partagés entre les baptisés. Ce qui ouvre la voie à de l’entre-soi, des distorsions cognitives et des relations d’emprise. Pourquoi ne pas miser sur le leadership ?

Comment expliquer le rejet des victimes et de leur parole plutôt que celui des agresseurs, au sein de l’Église ? Quelles sont les mécaniques à l’œuvre ?

Les victimes restent le symbole des violences sexuelles particulièrement scandaleuses dans l’Église du Christ. Elles dérangent d’autant plus que les agressions sont graves et qu’elles semblent pouvoir « détruire » l’Église. Ce discours est récurrent, témoin d’une représentation de l’Église se résumant aux prêtres qui – même si cela n’est pas exprimé ainsi – n’auraient donc pas à répondre de leurs actes coupables ! Mais ce n’est pas en cachant le Mal qu’on préserve l’Église, bien au contraire ! L’appartenance institutionnelle s’appuie sur la confiance, la crédibilité, le fait de savoir que l’Église annonce et met en oeuvre l’Évangile. Or, si les violences sexuelles et les abus de pouvoir sont cachés par l’institution, cela équivaut à dire que ces agressions ne sont pas très graves, qu’elles n’existent pas vraiment, qu’elles ne contredisent pas l’Évangile… Ce qui aggrave le scandale et éloigne de la Bonne Nouvelle.

Quelles mesures ou quelles réformes faut-il envisager pour prévenir les violences au sein des Églises ? Suffit-il d’intégrer plus de laïcs aux instances décisionnelles ?

Il ne suffit pas d’intégrer plus de laïcs aux instances décisionnelles. Néanmoins, la parité reste un élément de bon sens évangélique, y compris celle entre hommes et femmes. Tout comme la compétence des membres des différents conseils et commissions. La prévention reste absolument nécessaire en tout temps, mais l’on ne peut s’en contenter : il s’agit aussi de s’engager dans un travail théologique de fond repérant ce qui, dans le donné théologique, les Écritures, dans les textes législatifs, réglementaires, etc., pourrait être ambigu et utilisé à mauvais escient. Les groupes de travail mis en place par la Conférence des évêques de France (CEF) et la Conférence des religieuses et religieux de France (CORREF) dans la suite du travail de la Ciase sont un bon signal. Pour autant, c’est tout le travail théologique qui doit continuer mais pas seulement théoriquement : il doit commencer et se poursuivre par l’écoute des victimes qui détiennent un savoir propre et savent par expérience ce qui dysfonctionne.

Faut-il envisager une « sortie de l’Église » pour la prise en charge des victimes et des abus ? Les faire accompagner par des instances indépendantes des directions d’Églises et des clergés ?

Il ne s’agit en aucun cas d’opposer le travail de l’Église et celui qui s’effectue dans les instances ad hoc de la société. Il n’y a aucune opposition entre les deux et toute victime doit pouvoir être suffisamment informée pour pouvoir choisir ce dont elle a besoin. Le traumatisme est en effet un mécanisme très complexe et certaines victimes ne seront pas en capacité de s’adresser à un représentant de l’Église, à l’inverse d’autres victimes qui, elles, exigeront de rencontrer des responsables de l’Église pour précisément dire en face à face ce qu’elles ont sur le cœur. C’est d’ailleurs ce qui rend si complexe le travail de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR) mise en place par la CEF et celui de la Commission reconnaissance et réparation (CRR) dépendante de la CORREF car il ne s’agit pas simplement d’indemnisation mais d’un prendre-soin toujours singularisé à chacune et chacun.

Propos recueillis par Anne Mellier

 

Armer la jeunesse

La Fédération protestante de France (FPF) a publié en 2019 un livret sur l’accueil des mineurs en Église à l’adresse des encadrants des œuvres de jeunesse protestantes.
« Aux côtés de victimes qui viendraient se confier à nous, la priorité c’est de permettre la parole, assure Matthias Dietsch, président de la Commission jeunesse de la FPF. Pour le reste, nous nous efforçons de convaincre l’enfant de se tourner vers d’autres personnes comme un médecin ou un assistant social auprès desquels nous pouvons l’accompagner ». Dans les animations, les adultes sont vigilants à toute situation d’humiliation entre enfants. « C’est pour cela qu’ils réalisent des évaluations après chaque activité. » Reprenant l’esprit du cahier de la FPF, Pierre Magne de la Croix souligne la responsabilité particulière du catéchisme et de l’école du dimanche ou école biblique pour armer les enfants et « former des personnes autonomes en mesure de défendre l’intégrité de leurs consciences et de leurs corps ». Ce sont pour lui des lieux privilégiés pour « transmettre la capacité de dire non, le questionnement de l’autorité même spirituelle et le refus d’idéaliser une personne quelle qu’elle soit ».

Claire Gandanger

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