Enquête

Face aux violences, les Églises se cherchent

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Après les séismes de #MeToo et du rapport Sauvé, les Églises protestantes tentent elles aussi de faire leur introspection sur les mécaniques de violence qui les traversent.

« On n’a jamais autant réfléchi sur ces questions qu’aujourd’hui », assure Pierre Magne de la Croix, vice-président de l’Uepal, attelé à la dixième version du texte d’harmonisation des procédures disciplinaires qui doit être présenté aux votes du Consistoire supérieur luthérien et du Synode réformé en juillet. Des situations récentes les ont mis face aux lacunes de leurs réglementations respectives, datées du XIXe siècle. La nouvelle mouture devra instituer une commission disciplinaire commune et une autre d’appel pour les ministres sanctionnés. La justice française se dit incompétente pour ces ministres de droit concordataire. Inspecteurs luthériens et présidents de consistoires réformés, de leur côté, planchent sur un protocole de crise à même d’armer les acteurs de terrain en cas de signalements. «Les outils produits par la Fédération protestante de France (FPF) et ceux en cours d’élaboration dans l’Église protestante unie de France (EpudF) et l’Uepal sont complémentaires et traduisent une volonté partagée de prendre la question à bras le corps », poursuit Christian Albecker, président de l’Uepal. La FPF a publié en janvier un épais cahier de référence qui développe des recommandations aux acteurs d’Églises et des analyses des violences et de l’emprise spirituelle. Aux Églises membres d’en tirer désormais du concret. L’EpudF va mettre en circulation au printemps des flyers d’information synthétiques. Dans l’Uepal, une brochure pratique à destination des paroisses devrait sortir en même temps, avec des grilles d’évaluations et les contacts d’associations compétentes. Elle invite à accompagner les victimes jusqu’au dépôt de plainte. L'Uepal a relayé dès 2019 une version adaptée de la charte de la Fédération des Églises évangéliques baptistes sur les violences conjugales et mis en place une cellule d’écoute. Le Point Écoute(*) a par la suite pris le relai. Rachel Wolff, responsable du service de la pastorale familiale et conjugale, se tient toujours à disposition pour accompagner les victimes qui la solliciteraient. Mais l’offre institutionnelle n’inspire pas confiance. « À côté de combien de victimes passe-t-on ? », s’inquiète Rachel Wolff, convaincue qu’il est essentiel que la parole des croyantes puisse être accueillie dans leur sensibilité spirituelle. L’Uepal songe dorénavant à renvoyer vers la ligne d’écoute téléphonique anonyme de l’EpudF, dont les bénévoles formés vont entrer en fonction en mai.

Embarras

La libération de la parole a fait remonter de lourds souvenirs chez d’anciens catéchumènes d’un pasteur condamné dans les années 1970 pour pédophilie. Dans leurs paroisses, la défiance envers le corps pastoral est encore vive. L’Église se dit embarrassée. « Comment entrer en dialogue avec ces personnes traumatisées ?, s’interroge Alain Spielewoy, directeur des ressources humaines de l’Uepal. Organiser une soirée de parole ? Viendraient-ils ? Serions-nous débordés ? On a peur de commettre un impair. » Deux pasteurs de l’Uepal sont actuellement mis en cause pour des violences physiques et sexuelles intrafamiliales. Que faire dans de tels cas qui ne touchent pas directement à la vie des paroisses ? « A minima s’assurer qu’il n’y a pas d’autres victimes potentielles, en retirant le pasteur d’activités avec des enfants par exemple », assure Alain Spielewoy. La direction d’Église dit pour l’heure prendre ses informations sur ces affaires en cours depuis des mois et se tenir à la disposition de la justice. Elle n’a entrepris aucune enquête formelle bien que des dépôts de plaintes aient été portés à sa connaissance. Les acteurs d’Église consultés semblent partagés : laisser un pasteur entaché de faits présumés de violence porter la parole de l’Évangile pourrait aussi bien discréditer l’Église que la voir prise à partie dans des « règlements de compte ». Dans une communauté aussi petite que celle de l’Uepal, où toutes les personnes en responsabilité sont en liens d’amitié, voire de parenté, les conflits de loyauté viennent compliquer les positionnements. « On ne peut pas être en empathie avec les deux parties à la fois », comprend Ruth Wolff-Bonsirven, conseillère conjugale et familiale et inspectrice ecclésiastique de l’Uepal. Pour elle pourtant, « être juste n’est pas mettre tout le monde à égalité mais favoriser le plus petit » (Matthieu 25). Si certains veulent voir dans les nouvelles procédures disciplinaires un moyen pour l’Église de se rendre plus réactive, Christian Albecker refuse d’en faire l’outil d’une justice d’Église. « Ce n’est pas à l’Église de faire une justice parallèle même si la justice a des insuffisances », prévient-il en soulignant que les textes à venir sont moins pensés pour sanctionner spécifiquement des cas de violences que « pour des pasteurs partis avec la caisse ». Il est à ce stade difficile pour les Églises concordataires d’avoir recours à la mesure de suspension provisoire car l’État refuse de maintenir le traitement d’un ministre suspendu. L’Uepal est en discussion avec ses services pour débloquer ce point de droit. Mais même cette mesure conservatoire est loin de faire l’unanimité au sein de l’Uepal, à rebours de l’Epudf, où elle est activée de manière automatique dès qu’une plainte est déposée. « Il s’agit autant de protéger la victime que de mettre le pasteur et la communauté à l’abri le temps que la justice se fasse », défend Emmanuelle Seyboldt, présidente de l’EpudF. « Cela met en lumière le fait que le pasteur est sur la sellette. Si on le met deux ans sur la touche, parce que l’enquête dure deux ans, ça fait long, oppose Alain Spielewoy. La direction d’Église prend ces affaires très au sérieux et la parole des victimes aussi. Mais on essaie aussi de respecter la présomption d’innocence. » « Nous sommes sortis de l’ère où l’on n’entendait pas les victimes et il ne faudrait pas tomber dans une autre où le moindre soupçon puisse aboutir à mettre en cause quelqu’un, avec les dégâts irréversibles que cela peut entraîner », explicite Christian Albecker.

Plainte sans suite, un impensé dans l’Église

« En situation, l’Église a pu faire preuve d’immobilisme par le passé », retient Ruth Wolff-Bonsirven, regrettant un manque d’outils d’analyse des situations et de moyens d’enquêter. « À part solliciter des témoignages, cela ne va pas loin », confie celle qui a enquêté sur des faits présumés de harcèlement sexuel dans les années 2010. L’Église avait alors conclu ne rien pouvoir faire, puisque l’unique plainte déposée avait été classée sans suite. La personne en cause a été mutée et son comportement a, à nouveau, suscité des difficultés. En France, aujourd’hui encore, la majeure partie des plaintes en justice pour violences n’aboutit pas. « Mais ce n’est pas parce qu’une plainte n’a pas de suite qu’il ne s’est rien passé », martèle Ruth Wolff-Bonsirven, pointant un « impensé » dans l’Église. À l’automne 2022, le théologien et professeur à la faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg Jan Joosten, a été invité par les membres d'une paroisse à prêcher lors d’un culte. Il avait pourtant été condamné en 2020 à une peine d’un an de privation de liberté pour la détention de 27 000 images et 1 000 vidéos pédopornographiques et inscrit au fichier des délinquants sexuels. Les inspecteurs ecclésiastiques luthériens ont exprimé leur refus que la situation ne se reproduise et amorcé une réflexion pour l’argumenter, sur des bases théologique et réglementaire : jusqu’où le pardon est-il possible face à tant d’enfants victimes de viol ? Peut-on exiger d’un prédicateur un casier judiciaire vierge ? Pour Thomas Foerhlé, directeur de SOS Femmes Solidarité 67, le parti pris de paroissiens est symptomatique d’une méconnaissance de la gravité des violences et ce qui s’y joue : « Dans tous les types d’agressions, on observe une inversion de la culpabilité. C’est toujours la victime qui va se remettre en cause. Et puis il y a ce qu’on appelle la protection de l’impunité : l’aura de l’agresseur va permettre qu’il emmène le groupe avec lui. C’est d’autant plus fort dans les petits villages. Personne ne croit la victime. » Pour Emmanuelle Seyboldt, la foi protestante en la communauté fraternelle empêche précisément d’imaginer que la violence puisse s’y produire. « L’exigence de l’Évangile renforce le déni », alerte-telle. « Et il y a ce discours ancré que la victime vient briser l’unité alors que c’est l’agresseur. La vérité et la justice sont plus importantes que l’unité fictive d’une communauté. »

Claire Gandanger

 

* Le Point Écoute est ouvert à tous le vendredi après-midi à l’église protestante Saint-Pierre-le-Vieux à Strasbourg.

 

La faculté de théologie protestante mise en cause

L’Université de Strasbourg a officiellement ouvert en février une enquête disciplinaire à l’encontre du professeur Michael Langlois, accusé de harcèlement sexuel, d'agressions et de viols par 13 ex-étudiantes de la faculté de théologie protestante, dans les années 2000. « Les faits relevés sont d’autant plus graves que ce professeur bénéficie d’une double autorité religieuse et académique », analyse le Clasches, soutien aux victimes de violences sexistes et sexuelles au sein des universités françaises. Plus d’un an après son signalement à la direction de l’université, ce n’est qu’à la veille de la publication d’une enquête du site Rue89 Strasbourg que celle-ci a annoncé sa procédure interne. Le collectif salue toutefois l’existence de telles procédures gratuites propres au code français de l’Éducation, « à même de produire des effets rapides sur le milieu professionnel des victimes ». Michael Langlois, toujours rattaché à un laboratoire de recherche de la faculté, use de menaces de poursuites en diffamation et a porté plainte pour violences conjugales contre une ex-étudiante.

C. G. 

 

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