Puis-je me montrer vulnérable ?

Un verset biblique, une question et trois points de vue : philosophique, psychologique et biblique

  • Le coin du philosophe par Olivier Peterschmitt23_plongeur.jpg

Philon : N'y a-t-il pas quelque chose d'incohérent  dans le fait de dire «Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » ? Celui qui s'exprime ainsi n'a pas encore donné à sa foi un contenu bien défini. Il veut s'appuyer sur une aide extérieure, justement parce qu'il ne croit pas. Le dieu qu'il invoque doit faire la preuve de son existence par son secours. La manière qu'ont certains croyants de gémir, de clamer leur détresse comme si dieu allait réagir à l'intensité avec laquelle ils l'appellent, a quelque chose d'indécent. Leur divinité serait-elle d'autant plus sensible à leur malheur qu'ils se comportent de manière plus infantile ? Leur croyance me donne plutôt l'impression d'être le refuge des faibles.

Socrate : Il est vrai que la croyance devrait suffire à trouver la sérénité. Lorsqu'on dit «Je crois» c'est avec l'idée qu'on est assuré d'une réalité souverainement bonne dans laquelle tout a une raison d'être. La foi ne demande rien. Elle pose que tout est sous la garde d'une providence et que même l'abîme est un abri.

Philon Dès lors la vertu se trouve dans le courage, l'endurance, la capacité de souffrir. C'est là l'idéal des héros grecs, tels Ulysse ou Antigone. Ils se savent vulnérables, mais cultivent l'art de se fortifier et de ne pas offrir prise à l'adversaire. Plutôt que de montrer leurs faiblesses, ils manifestent leur volonté. J'admire cette tenue des héros de la volonté. Ils ne s'accrochent pas à la chimère d'un secours surnaturel comme le noyé à sa planche. Leur grandeur d'âme et leur force en font des modèles qu'il est bon de chercher à imiter.

Socrate : La force sera toujours plus glorieuse que la faiblesse. Mais autant il est beau de se montrer intrépide et déterminé à rester debout, autant il importe de rester sensible et réceptif. Il ne faudrait pas que la peur de montrer sa vulnérabilité nous enferme dans une armure qui isole et coupe du monde. Le héros grec, au lieu de ruminer sa détresse dans le silence de la solitude, crie et confie ses failles à l'oreille amicale. Il en appelle au secours divin et le dieu vient offrir son soutien à celui qui le sollicite pour combattre. Qui appelle au secours ressemble, par certains côtés, à un enfant ; et alors ? La conviction qu'il a de ne pouvoir se suffire à lui-même lui donne accès, pour vivre, lutter, espérer, à la présence bienfaisante d'un autre qui sauve. Le «Viens à mon secours » est moins l'expression d'une humilité que d'une sagesse de la dépendance à l'égard d'une grâce et d'une force que personne ne peut se donner à soi-même. Il ne dit pas le manque de foi, mais le manque que la foi porte en elle. Seul ce manque qui appelle recevra une réponse.

  • Le coin du psy par Raymond Heintz

Les trois singes de la Sagesse se protègent yeux, oreilles et bouche avec les mains. Ainsi le Mal ne pourra entrer en eux. Mais au cas où le Mal aurait quand même trouvé une porte d'entrée... comment l'en faire sortir ? Un père supplie Jésus de guérir son fils, possédé par un esprit, sourd et muet, qui s'est emparé de son corps, le livrant aux convulsions.
Comment apostropher, atteindre un tel esprit ? Retranché dans le donjon de sa surdité et de sa mutité, il ne vous entendra pas, ne vous répondra pas. Nous en connaissons tous, autour de nous, de tels sourds et muets. Y compris nous-même, parfois, pas vrai ?
Et si cette surdi-mutité cachait une vulnérabilité ? Une vulnérabilité qui n'ose apparaître au grand jour, de peur que ne s'effondrent ses hauts remparts, patiemment érigés ?
«Ah ça, il est fort, il est résistant, bosseur, dur avec lui-même et avec les autres, il avale ses dix kilomètres de course à pied plusieurs fois par semaine... mais quand il s'agit de parler de ce qui ne va pas entre nous, il se réfugie au salon ou dans son atelier, plus moyen de l'atteindre, c'est motus et bouche cousue...» dit cette épouse, en désarroi devant la crise qui traverse son couple. Est vulnérable qui peut être blessé. La blessure sur et dans le corps est une porte ouverte sur notre intimité. Et l'intimité est toujours nue, désarmée, fragile comme l'est le nouveau-né. La vulnérabilité est l'humus propre à chaque humain, enfant ou vieillard, puissant ou miséreux. L'enfant — celui que nous avons été, celui que nous portons en nous — peut avoir été livré à des souffles mauvais, ceux qui traversent les générations et qui agacent les dents. À l'instar des trois singes, il va protéger le coeur de son intimité par une carapace, un arsenal défensif. Des années après, ils demeurent, vestiges, cicatrices de l'ancienne mais toujours vive blessure.
Comment puis-je ouvrir au monde cet espace fragile, susceptible d'être souillé, piétiné à chaque instant ? Ne risque-t-il pas d'être livré au pervers, celui qui a l'odorat fin pour flairer la fragilité chez autrui, mais n'y reconnaissant plus l'écho lointain de sa propre fragilité ? Ne risque-t-il pas d'être mis au rebut du Système, qui exige des individus performants, soumis au dieu de la rentabilité ? Oui, vulnérabilité et rentabilité ne font pas bon ménage. Mais, pour endiguer la propagation du Mal, il n'existe nul autre chemin que celui du risque de l'amour. Chemin où nous nous avançons nus et désarmés.
Alors seulement, comme ce père s'adressant à Jésus, nous pourrons laisser parler notre coeur : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! »

  • Le coin biblique par Pascale Haller-Jahn, aumônière

Mc9.pngLa parole rapportée ici est issue du récit de l'évangile de Marc relatant le rétablissement d'un enfant possédé d'un esprit muet. Le père de l'enfant interpelle Jésus pour venir à son secours et manifester sa compassion envers lui et l'enfant. Le père dit croire. Croire, c'est quelque chose de simple et en même temps de monumental. Le défi en face duquel le père est placé est énorme : croire que son fils possédé par une force indomptable puisse être relevé de son problème, de son handicap (peut-être des crises d'épilepsie ?). « Je crois, viens au secours de mon manque de foi. » Parole surprenante, contradictoire, presqu'un oxymore... J'y discerne une ambivalence : d'un côté, une attitude de simple confiance presqu'aveugle où tout est possible, de l'autre, un sentiment d'impuissance énorme, marqué par le doute que la situation puisse être changée.

Toi, Jésus, tu peux

Cette ambivalence, puis-je la repérer dans ma vie ? Y a-t-il eu des fois, dans mon parcours, où je me suis sentie comme ce père espérant tout et doutant en même temps ?Dans cette attitude, que je connais, il y a d'une part l'envie de croire, une force, un enthousiasme qui m'envahit et qui se porte sur Celui qui a le pouvoir de transformer les choses, ce qui dit en moi « Je crois ». C'est un début sur le chemin de la foi, c'est une main tendue, une confiance naissante. D'autre part, il y a le doute, l'hésitation, l'impossibilité à imaginer une transformation, et dans ce retrait, un appel au secours en toute humilité : « Moi, je ne peux pas, mais toi, Jésus, tu peux. Viens au secours de mon manque de foi ! »
Il se dégage de cette attitude ambivalente la présence d'un renoncement au fantasme de toute puissance s'insinuant en chacun de nous. Ce renoncement m'ouvre à la possibilité de croire, à investir ma confiance dans un Autre qui peut plus que moi et à le laisser faire... Ce renoncement m'ouvre aussi à reconnaître que je ne peux pas, que tout ne dépend pas de moi et que j'ai besoin de cet Autre qui peut plus que moi... Le renoncement au fantasme de toute puissance m'ouvre à l'humilité, à mon humanité dans l'interdépendance où l'humain est ce formidable être qui, par la foi, peut déplacer des montagnes et en même temps, vulnérable, susceptible d'être blessé. Cet être que je suis a besoin d'un Autre pour l'élever à ce à quoi il est destiné. Ainsi, la parole de ce père fait écho à la mienne et devient une forte invitation à nous dépasser, à la fois enracinés dans un réalisme (manque de foi) et tendus vers l'inouï, l'inattendu, portés par la confiance (je crois).
Cette parole, ne serait-elle pas justement une invitation à reconnaître, assumer et habiter notre humanité faite d'ambivalence ?

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