La paix juste n'est-elle qu'une espérance ?

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Les questions que nous nous posons sur la guerre et la paix révèlent qui nous sommes en réalité : des êtres épris de paix, certes, mais enclins à nous résigner à la fatalité de la guerre. Se demander si la paix juste ne relèverait pas du seul registre de l’espérance, c’est renoncer à la voir s’établir hic et nunc, ici et maintenant. Dans la Bible, on connaît les promesses d’une paix messianique, portées par les prophètes Ésaïe (2, verset 4) et Michée (4, verset 3) : « De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, de leurs lances des serpes, une nation ne lèvera plus l’épée contre une autre, et on n’apprendra plus la guerre. » Mais ces promesses ne semblent concerner que la fin des temps, le Royaume des cieux, autant dire une tout autre époque et une tout autre réalité que les nôtres. Et pourtant… Des exemples de paix juste, même si elle est parfois précaire ou provisoire, jalonnent notre histoire récente. La réconciliation franco-allemande, depuis 1945, en est un bel exemple : quand on connaît l’inimitié traditionnelle entre ces deux pays voisins au cours des derniers siècles, ce point est remarquable, et sert d’ailleurs de modèle de référence pour des artisans de paix à travers le monde. En 1965, Martin Luther King a obtenu la fin de la ségrégation et le suffrage universel aux États-Unis sans verser une seule goutte de sang. Les accords de Matignon en Nouvelle-Calédonie, en 1988, ont maintenu la paix et assuré la construction d’un « Destin commun » entre les diverses communautés, jusqu’à leur remise en question en 2024. En 1989, le Mur de Berlin est tombé en moins d’une nuit, mettant fin à la division de l’Europe. La chute de l’Apartheid en Afrique du Sud, en 1991, n’a pas débouché sur un bain de sang ni sur une vengeance à l’encontre de la minorité blanche, que l’on aurait pu craindre, mais sur une démocratie pluriethnique. Les accords de paix en Irlande du Nord, accords dits « du Vendredi saint », en 1998, ont mis fin à trente années de conflits violents qui avaient coûté la vie à plus de 3 500 personnes et en avaient blessé 40 000. La remise de ses armes par l’ETA, en 2017, a clos une période de plus de cinquante ans de lutte armée au Pays basque, période au cours de laquelle plus de 800 personnes ont perdu la vie.

Une exigence

Et dans la Bible aussi, il est question d’une histoire extraordinaire de paix juste, et de mise en œuvre de l’amour des ennemis : en 2 Chroniques 28, versets 9 à 15. Sur l’exhortation du prophète Oded, qui parle au nom du Seigneur, les ennemis d’hier vont se réconcilier, rendre le bien pour le mal et réparer les dégâts causés par leurs violences. Ce récit annonce en quelque sorte le Sermon sur la montagne (Matthieu 5, versets 38 à 48), la parabole du Samaritain (Luc 10, versets 25 à 37) et les parénèses de Paul (Romains 12, versets 9 à 21 ; 13, versets 8 à 14). Et il s’agit bien là de la narration d’un événement historique, et non d’une simple promesse eschatologique. La fatalité de la guerre tient à ce que nous la rendons fatale. Si nous ne croyons guère à la possibilité d’une paix juste, c’est que nous préférons la puissance et la sécurité à la paix, et que nous ne sommes pas prêts à payer le prix de la paix dans la justice. Celle-ci est en effet d’une grande exigence : en termes de reconnaissance de l’autre, de renoncement à sa déshumanisation voire à sa diabolisation, de délégitimation de la violence, de désarmement des cœurs, de politique volontariste de diplomatie persévérante et d’amitié entre les peuples. Dans les exemples que nous avons donnés, il y avait toujours une ou des personnalités hors du commun, indépendantes d’esprit, charismatiques souvent, courageuses et désintéressées toujours, qui ont porté la cause de la paix juste jusqu’à son accomplissement. Devant l’Histoire, la paix juste a besoin d’un leadership à la hauteur de la situation.
Sans aucun doute, la paix juste est l’objet d’une espérance. Mais si l’espérance n’était pas seulement pour la fin des temps, mais pour ici et maintenant ?

Frédéric Rognon,
professeur de philosophie faculté de théologie protestante de Strasbourg

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