Des valises comme traces des exilés et disparus

Sept lycées en Alsace et en Allemagne ont expérimenté cette année un projet de compositions de « valises-mémoires », à l’initiative de la peintre et psychiatre strasbourgeoise Francine Mayran. Plusieurs d’entre elles ont été exposées le 7 juin à la Chapelle de la Rencontre.

 

Que met-on dans sa valise quand on doit partir de manière plus ou moins forcée ? Armen, 16 ans, élève du lycée Kléber à Strasbourg, a choisi les crayons de couleurs que son oncle lui avait offerts pour s’occuper lors de son trajet définitif de l’Arménie jusqu’à la France. Il avait alors six ans. Il y a mis aussi un jeu d’échecs car « tout Arménien qui se respecte » joue à ce « sport pour le cerveau ». Un camarade originaire du Bangladesh a retenu dans la sienne une boîte de pâte au piment, spécialité de sa grand-mère restée au pays. Un tissu traditionnel brodé en couleurs aussi, si important au Bengladesh que les étudiants sont invités à « faire des dissertations dessus ». Leur professeur d’allemand, Michèle Hoenen, avait invité ses élèves à trouver eux-mêmes la figure de leur histoire. « L’un a choisi le petit Gaby, personnage franco-rwandais du livre Petit pays de Gaël Fay. Un autre s’est intéressé à son camarade immigré de Madagascar », détaille l’enseignante. « Suggérer par des objets produit des choses très personnelles de la part de garçons de 16 ans pour lesquels ce n’est pas évident de partager ses émotions », observe-t-elle. Une autre de ses classes a travaillé collectivement à partir de La valise d’Hana, biographie signée Karen Levine d’une petite fille juive dont la valise fut retrouvée à Auschwitz.

L’unicité de chacun

Francine Mayran explore depuis des années la mémoire des génocides. Par ce projet des valises-mémoires, l’artiste et psychiatre entend rendre les jeunes vigilants à « la haine qui fait que l’on oublie que l’on a des humains en face de soi. » Elle proposait deux axes pour son projet : « Il peut tout autant s’appliquer à raconter l’histoire d’un survivant ou d’une victime d’un génocide, que celle d’un parcours de migration personnel, expose-t-elle. Chacun choisit une histoire particulière et chaque valise est unique. » Un moyen fort de « signifier aux enfants l’unicité de chacun qui ne peut être remplacée par personne d’autre », défend-t-elle. « J’ai élargi aux histoires de migration personnelles parce que je crois que pour pouvoir être sensible à l’humain, il faut d’abord se rendre compte de sa propre richesse », poursuit Francine Mayran.

En complément de ce travail créatif, plusieurs classes ont rencontré des survivants ou descendants de victimes de génocides. Le projet devrait se poursuivre dans d’autres établissements alsaciens dès la rentrée prochaine. 

Claire Gandanger

Photo : Francine Mayran a distribué une centaine de valises aux participants. Au lycée Kléber, le résultat du travail  a été présenté sous la forme d’une unique valise remplie de QR-codes qui renvoient à la présentation à l’oral  et en vidéos des objets sélectionnés par chaque élève. © Dominique Conrath

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