Août 1572 : la Saint-Barthélemy déchire la France

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Théologien suisse, spécialiste de l'histoire du protestantisme, Pierre-Olivier Léchot enseigne à l’institut protestant de théologie de Paris. Il nous présente un épisode qui a marqué l’histoire des protestants.

Le massacre de la Saint-Barthélemy a inspiré de nombreuses œuvres littéraires, musicales ou cinématographiques à travers les siècles : qui ne se souvient de Jeanne Moreau ou d’Isabelle Adjani sous les traits de Marguerite de Valois ? L’événement souffre pourtant de son succès. Il est ainsi difficile de se débarrasser de la légende noire entourant Catherine de Médicis, la « Florentine » empoisonneuse et calculatrice, d’ailleurs dépeinte sous les traits d’une mante religieuse par l’un des tout premiers illustrateurs du massacre, l’artiste suisse François Dubois.
Commençons justement par Catherine : en cette année 1572, elle n’est officiellement plus aux commandes de la France. Son fils Charles IX, devenu majeur, exerce pleinement son pouvoir monarchique depuis près de dix ans. Mais est-ce à dire qu’elle n’a plus son mot à dire ? En tous les cas, Catherine n’a eu de cesse de maintenir la paix. Loin d’être une fanatique, elle est au contraire une fine politique, « machiavélique » au vrai sens du terme : pour cette femme qui a lu Machiavel, les intérêts de l’État (et donc la paix civile) primeront toujours sur ceux de sa religion. Depuis l’éclatement des guerres de religion, dix ans plus tôt, toute son énergie passe donc dans l’exploration des voies de pacification.

Le coup d’arquebuse

Après plusieurs guerres qui ont vu toutes les strates de la société française payer de lourds tribus aux conflits entre protestants et catholiques, le succès semble à portée de main en ce mois d’août 1572 : le rapprochement du roi et de sa mère avec l’amiral de Coligny, chef du parti huguenot, ainsi que le mariage entre Henri de Navarre (futur Henri IV) et la sœur du roi, Marguerite de Valois (célébré le 18 août) semblent augurer une issue favorable. Les fêtes entourant les noces sont là pour le souligner : on y célèbre la paix, l’harmonie et la concorde. Mais le 22 août, un coup d’arquebuse vient faire trembler le frêle édifice construit par Catherine et son fils. Si le coup manque de tuer sa cible (l’amiral de Coligny), ses conséquences sont pourtant catastrophiques : les huguenots, convaincus qu’il s’agit d’un coup des ultra-catholiques menés par la famille des Guise, réclament justice au roi et sont prêts à la rendre eux-mêmes si le souverain s’y refuse. La coupe est pleine : pour Charles IX, qui a déjà beaucoup concédé aux hérétiques, cette menace met en cause l’exercice de sa justice et donc sa souveraineté. Pour lui, il ne s’agit rien moins que d’un crime de lèse-majesté. Sans aucune forme de rouerie, Charles estime que « l’amour de son peuple » (selon le mot de l’historien Denis Crouzet) nécessite de passer à l’acte : les principaux chefs politiques du parti huguenot, ceux que l’on appelle « huguenots de guerre », sont à sa merci et il faut en profiter pour frapper.

La Saint-Barthélemy du peuple

Durant la nuit du 24 août, une cinquantaine de leaders huguenots, dont Coligny (mais pas le futur Henri IV, cousin du roi), sont surpris dans leur logis parisien et mis à mort. Le drame réel n’a cependant pas encore commencé : placés face à l’insolente présence des hérétiques dans leur ville, excités par des prédicateurs enflammés et épuisés par une période de chaleurs et de disettes sans pareil, les Parisiens se lancent à leur tour dans la chasse aux hérétiques. Cette « seconde Saint-Barthélemy », celle du peuple, fera selon les estimations quelque 2 000 morts dans la capitale. Si elle n’a pas été préméditée comme on le croit souvent, elle fera tache d’huile puisque, comme un virus, le flot des massacres se propage dans tout le pays. Bilan ? Probablement 30 000 protestants égorgés à travers tout le royaume – hommes, femmes et enfants.
Le traumatisme est immense : nombre de huguenots prennent la route de l’exode. Si Charles IX est décrié dans toute l’Europe pour un massacre de masse qu’il n’a pas voulu, les protestants restés en France ne s’en remettront pourtant jamais. Jusque-là, en effet, leur conviction était que la Providence se trouvait derrière leurs succès. Mais comment expliquer un massacre de cette ampleur ? N’était-ce pas finalement le châtiment de leurs errances ? Ce qui est sûr, c’est que c’est bien à partir de ce funeste mois d’août 1572 que les protestants commencent à douter de leur capacité à convertir leur royaume et qu’ils entrent petit à petit, mais non moins sûrement, dans une logique minoritaire qui est toujours la leur de nos jours.

Pierre-Olivier Léchot

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