En cette année du 150e anniversaire d’Albert Schweitzer, Daniel Leininger, responsable du service Musique de l’Union des Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine (Uepal), a choisi de diriger La Création de Joseph Haydn, une œuvre de 1798 à la fois inspirée du premier chapitre de la Genèse et du recueil de John Milton, Le paradis perdu. Accompagnée par un orchestre symphonique sur instruments anciens, cette pièce musicale sera interprétée par des solistes et un choeur dont Madeleine Wieger, enseignante à la faculté de théologie de Strasbourg, fait partie. Rencontre croisée autour d’une oeuvre lumineuse, d’une conscience écologique et d’une jubilation spirituelle.
Pourquoi interpréter La Création de Joseph Haydn pour le 150e anniversaire d’Albert Schweitzer ?
![]()
Daniel Leininger – C’est une œuvre qui figurait sur ma liste depuis longtemps. Elle m’attirait non seulement pour sa beauté musicale, mais aussi parce que je voyais un lien fort avec la pensée d’Albert Schweitzer autour du respect de la vie. Pour moi, trois choses se rejoignent : Haydn qui célèbre la Création dans une louange émerveillée, Albert Schweitzer et la prise de conscience des dangers qui pèsent sur cette Création et enfin notre époque qui fait face à la disparition dramatique des espèces et à la crise climatique. Je ne veux pas transformer ce projet en un militantisme politique, mais je pense que l’artiste, comme le sportif, le musicien ou l’écrivain, ne peut rester indifférent. Ce que je vis dans mon travail de musicien, c’est une forme de témoignage. À mon sens, La Création de Joseph Haydn illustre bien cette jonction entre art, pensée spirituelle et enjeux contemporains.
Madeleine Wieger – Travailler avec Daniel, c’est avant tout s’engager dans un vrai répertoire. On ne cherche pas à faire du sensationnel avec des œuvres oubliées, mais à replonger dans les chefs-d’œuvre qui parlent au public et qui portent une grande profondeur. J’ai chanté avec lui la Passion selon saint Jean, l’Oratorio de l’Ascension et bien sûr d’autres œuvres sacrées comme les motets de Bach ou Mendelssohn. Ce que j’aime, c’est la façon dont nous faisons travailler ensemble amateurs chevronnés, semi-professionnels et professionnels, pour faire corps autour d’un projet commun. Cette ouverture est importante : elle donne du sens au chant, au service de la musique sacrée et crée une véritable communauté musicale et spirituelle.
D. L. – Notre formation chorale est née au sein de l'Uepal. Dans notre approche, nous cherchons à créer du lien entre art et spiritualité, tout en nous adressant à un large public. C'est la singularité de notre présence d'Église sur la scène musicale régionale.
Si vous deviez retenir un passage de cet oratorio ?
M. W. – Ce qui me touche le plus, c’est la manière dont chaque étape de La Création est ponctuée par la louange des anges. Ce n’est pas une louange figée ou solennelle, mais proche de la tonalité vivante et spontanée des psaumes, pleine de gratitude et d'allégresse. Daniel insiste beaucoup sur les rythmes qui évoquent presque une danse villageoise, ce qui fait que le chœur ne fait pas que chanter, il danse, il fête. C’est une joie collective, une fête de la Création qui éclaire profondément l’œuvre. Je pense que cela rejoint l’enseignement que l’on peut donner aux enfants à l’École du dimanche.
D. L. – Le passage mythique du « Que la lumière soit » est un moment clé. Après un silence intense, l’orchestre déploie une lumière sonore presque éblouissante. Joseph Haydn, catholique convaincu, a pris son temps pour composer son oratorio — il voulait que cette œuvre soit intemporelle. Ce moment, qui mêle sobriété et éclat, porte une part d’humour et de surprise, caractéristiques du compositeur. La lumière est un fil rouge qui traverse l’œuvre et culmine dans la troisième partie dédiée à Adam et Ève.
Quelle portée spirituelle et écologique voyez-vous dans cette œuvre ?
M. W. – Dans le contexte actuel, parler d’écologie, c’est souvent évoquer la peur, l’angoisse, voire le découragement. Albert Schweitzer nous rappelle que le respect de la vie doit venir d’une source intérieure, émerger d’une motivation profonde liée à la vie spirituelle, nourrie par des émotions positives. La Création de Joseph Haydn apporte cela : elle est un chant de gratitude. Ce n’est pas un cache-misère face aux crises. On chante des mercis, des God sei Lob, des Ehre... Et il y a quelque chose qui se retisse du lien avec le Créateur à travers cette œuvre et qui génère des émotions et une énergie spirituelle qui peuvent irriguer beaucoup plus puissamment l’engagement éthique pour la sauvegarde de la planète que le ressassement de l’angoisse.
D. L. – Pour moi, c’est surtout l’émerveillement. Il peint la Création comme une fresque sonore. Il se saisit d’une cosmogonie, d’un récit mythique et symbolique et il en fait une sorte de bande-dessinée. Il choisit la tonalité de la couleur, la forme des cases, le trait qu’il va utiliser. La séparation des eaux du haut et du bas, le surgissement de la terre, des rochers… Ensuite, viennent les poissons... La verdure avance ici et là… Chaque scène est richement illustrée, mais toujours baignée dans une louange émerveillée. Cette œuvre nous invite à la fois à l’admiration et à la responsabilité. Elle souligne la beauté et la richesse de la nature, et donc, notre implication pour sa préservation.
Quelle atmosphère générale se dégage de La Création ?
M. W. – L’œuvre dégage une innocence originelle. Tout est bon, rien n’est menaçant. La Création est célébrée dans une joie jubilatoire, avec peu d’ombres au tableau. La seule note plus grave vient de l’ange Uriel, qui avertit Adam et Ève de ne pas désirer plus que ce qu’ils doivent, de ne pas chercher à savoir au-delà de ce qui leur est donné.
D. L. – Joseph Haydn choisit une énergie lumineuse, bienfaisante, qui donne de l’élan. La Création nous porte, nous emporte, et nous rend sans doute plus conscients de notre place en son sein. C’est une musique qui nous met en mouvement.
Propos recueillis par Gwenaelle Brixius
Rencontre pédagogique avec des collégiens
Le vendredi 10 octobre 2025, des collégiens seront reçus pour une répétition ouverte avec tout l’ensemble. Céline Mellon, soprano, interviendra pour faire le lien entre la musique de Joseph Haydn et la pensée d’Albert Schweitzer, notamment sur le respect de la vie.
Die Schöpfung – La Création de Joseph Haydn
Concert de l’association Musiq’com en partenariat avec la fondation Deutsches-Albert- Schweitzer-Zentrum Frankfurt-am-Main. Avec Céline Mellon, soprano, Richard Resch, ténor, Clemens Morgenthaler, basse, Chœur Passion Bach 25, Karlsruher Barockorchester, Daniel Leininger, direction.
Samedi 11 octobre à 20h, église Saint-Paul, Strasbourg
Dimanche 12 octobre à 17h, église Saint-Matthieu, Colmar
Samedi 18 octobre à 20h, Stadtkirche, Karlsruhe
Dimanche 19 octobre à 17h, Stiftskirche, Lahr
Billeterie : www.uepal.fr/passion-bach/
1b quai Saint Thomas
67000 STRASBOURG
03 88 25 90 80