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L’adieu à un grand serviteur de l’État et de l’Alsace
Daniel Hoeffel vient de s’éteindre à l’âge de 96 ans. Ce protestant engagé est entré de son vivant dans l’histoire de l’Alsace.
Plus d’un quart de siècle avant son décès, intervenu ce 14 octobre à Strasbourg, Daniel Hoeffel avait fixé le cadre de ses obsèques*. L’ancien ministre voulait être enterré dans son village, à Handschuheim. Et la sobriété sera de règle, avait prévenu celui qui était à l’époque sénateur et président du conseil général du Bas-Rhin, après avoir participé aux gouvernements de Raymond Barre et d’Édouard Balladur. Grâce à son ministre alsacien, Valéry Giscard d’Estaing, alors président, avait découvert l’Ackerland. Quant à Jacques Chirac, il fut invité dans la maison familiale où Marie-Claude Seegmuller-Hoeffel, l’épouse de Daniel décédée en 2006, lui servit une mémorable choucroute. Toute la famille, les deux filles, Isabelle et Dominique qui fut son assistante parlementaire avant de devenir avocate, les gendres et les petits-enfants furent mis à contribution. Depuis, le cercle s’est agrandi et compte cinq petits-enfants et neuf arrière-petits-enfants dont il parlait avec fierté.
Daniel Hoeffel sera inhumé dans l’intimité familiale à Handschuheim dont il avait été le maire pendant 43 ans. Le 30 octobre, à 14h30, un hommage lui sera rendu en l’église Saint-Thomas de Strasbourg, qu’il a fréquentée ces dernières années avec sa compagne. Il passait régulièrement devant la statue d’Albert Schweitzer, théologien, médecin humaniste et musicien, qui par sa double culture et ses multiples facettes incarnait pour lui l’Alsace. A quelques encablures, en face des Ponts-Couverts, l’Hôtel du Département, construit sous sa présidence par l’architecte Claude Vasconi, témoigne d’un parti-pris de modernité qui avait surpris, autant que de la place prise par la collectivité, après la mise en œuvre de la décentralisation en 1982.
C’est au terme d’une bataille mémorable, en 1979, que Daniel Hoeffel, alors ministre depuis deux ans, s’imposa à la tête du conseil général du Bas-Rhin dont le patron était André Bord. Au lieu de rester dans son fief, l’ancien ministre gaulliste avait quitté son canton du Neudorf pour affronter à la Meinau celui qu’il considérait comme son concurrent. « Il me fallait un ancrage local », expliquait le ministre centriste. Et contre toute attente, le plus ancien perdit, entraînant un changement de majorité à la tête du Département. Les deux hommes pourtant se connaissaient bien. Ils avaient travaillé tous les deux, Daniel Hoeffel à Paris, André Bord à Strasbourg, au cabinet du général Koenig, lorsque ce dernier fut nommé ministre de la Défense, au début des années cinquante. Daniel Hoeffel, qui avait une mémoire extraordinaire, a souvent évoqué ce lundi de Pâques de 1947, lorsque de Gaulle avait proclamé la naissance du RPF (Rassemblement du peuple français) au balcon de l’hôtel de ville de Strasbourg. Le jeune homme qui effectuait des études de droit et de Sciences Po, accompagnait son père, Robert Hoeffel, une figure du monde agricole, qui fut maire de Handschuheim et pendant dix ans sénateur RPF, avant d’être battu par un concurrent MRP.
Cette parenthèse refermée, Daniel Hoeffel fit une première partie de sa carrière à la Chambre patronale, comme secrétaire général, au service des entreprises. Ce n’est que tardivement, à quarante-huit ans, qu’il se lança vraiment en politique. Puis tout lui réussit, même s’il n’a pas caché sa déception après l’échec de Valéry Giscard d’Estaing, battu le 10 mai 1981 par François Mitterrand. Désormais parlementaire de l’opposition, Daniel Hoeffel s’est appliqué à tirer le meilleur parti des lois Defferre initiées par François Mitterrand, s’appuyant pour mettre en place l’administration et gérer les nouvelles compétences du conseil général du Bas-Rhin sur des collaborateurs en qui il avait toute confiance, comme Philippe Ritter, Daniel Bursaux et Bernard Dreyfus.
Il a tracé sa route, en Alsace où il a présidé également l’Association des maires du Bas-Rhin et l’Adira, l’agence de développement économique, et au Sénat où il fut premier vice-président, travaillant en bonne entente avec ses collègues Marcel Rudloff et Hubert Haenel. Il a présidé aussi l’Association des maires de France, parcourant le pays. Cet homme tolérant et ouvert a toujours cultivé des relations amicales avec le maire et député alors socialiste de Mulhouse, Jean-Marie Bockel. « Entre le protestant engagé et le catholique pratiquant, nous avions une grande proximité intellectuelle toute alsacienne », se plaît à relever l’ancien ministre haut-rhinois. Nul n’étant prophète dans son pays, Daniel Hoeffel avait été invité à inaugurer la Foire de Mulhouse avant celle de Strasbourg.
L’homme au phrasé si particulier n’a jamais caché ses convictions religieuses, même si d’aucuns ont moqué - plus ou moins gentiment - sa rigueur toute protestante. Malgré son attachement à sa mère, il refusa de devenir pasteur comme Berthe Hoeffel l’y avait poussé. Pour autant, il tirait de son éducation et de sa foi une manière d’être, une exigence, une grande modestie aussi. Une ouverture aussi aux autres cultes. Si son frère cadet, le pasteur Michel Hoeffel, a présidé le directoire de l’Eglise luthérienne d’Alsace-Lorraine, Daniel avait été conseiller presbytéral de sa paroisse de Handschuheim pendant vingt ans et membre du consistoire supérieur, s’impliquant dans les débats déjà animés de l’époque. Il est resté toute sa vie durant attentif à l’évolution de son Eglise dont il avait une haute idée. Un sujet de débat et une riche histoire familiale en partage avec son petit-cousin, Jean-Louis Hoffet, « pasteur et politique » mais engagé à gauche, emporté par la maladie en juin 2023.
Grand serviteur de l’État, qui s’est toujours refusé - et cela lui a été reproché - à privilégier sa région quand il était ministre, Daniel Hoeffel était viscéralement attaché à l’Alsace. Une de ses fiertés avait été, comme ministre de Raymond Barre, de négocier l’accord entre la France et l’Allemagne pour l’indemnisation des incorporés de force. Toute sa vie aussi, il a milité pour l’amitié franco-allemande, en lien avec le député CDU d’Offenburg Wolfgang Schäuble, et il était un Européen convaincu. Dans les années 1990, il avait été le premier, comme ministre délégué à l’Aménagement du territoire du gouvernement Balladur, à remettre en question le « mille-feuille institutionnel ». Dans une interview au journal L’Alsace, il avait évoqué l’hypothèse d’« une fusion des deux départements alsaciens et de la région », déclenchant des réactions qui l’ont surpris. Le débat était lancé, mais comme souvent en Alsace, le projet fut entravé par des polémiques sur fond de concurrences personnelles pendant presque vingt ans.
Daniel Hoeffel fut un ardent défenseur du conseil d’Alsace proposé, en 2013, par Philippe Richert, président de la Région Alsace, qui lui avait succédé en 1998 à la tête du Département du Bas-Rhin. Après l’instauration du Grand Est par François Hollande, Daniel Hoeffel et l’universitaire Robert Herzog saisirent le conseil d’État. Mais la plus haute juridiction administrative se déclara… incompétente. L’ancien ministre n’en resta pas moins convaincu que les collectivités devaient être gérées au plus près du terrain. « Nous savons ce que nous avons perdu ! » avait-il lâché, en alsacien, lors de la réunion constitutive qu’il a présidée du Mouvement pour l’Alsace.
Même s’il n’avait plus de mandat depuis 2008, Daniel Hoeffel a continué de s’intéresser à l’actualité internationale, nationale et bien sûr régionale et locale. Il lisait énormément. Cet homme ouvert, à l’humour parfois mordant, n’était pas sectaire, ni rancunier, mais il n’oubliait rien. Pour les journalistes, c’était un bonheur de l’interviewer, sa pensée était structurée en trois points ! Et il ne refusait jamais de replonger dans ses souvenirs qui couvraient une large période depuis la guerre. « Daniel aimait les gens », confie un de ses amis, surpris de sa connaissance fine des multiples réseaux alsaciens, tant politiques qu’économiques. Et bien sûr protestants.
Yolande Baldeweck
* Daniel Hoeffel en avait parlé dans son livre d’entretiens avec Michel Stourm, paru en 1999 aux éditions de La Nuée Bleue.
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