À l’heure de la commémoration des 75 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz, un sondage révèle que 57% des Français ne connaissent pas le nombre de juifs assassinés par les nazis (69% chez les 18-30 ans) et 16% n’ont jamais entendu le mot Shoah (25% chez les 18-30 ans). À ces chiffres s’ajoute l’augmentation des actes antisémites. Dans le Grand Est, 43 actes racistes et/ ou antisémites ont été relevés en 2019. Les actes antisémites qui ont le plus marqué sont les profanations des tombes dans les cimetières israélites alsaciens : 80 sépultures profanées à Quatzenheim en février 2019, 10 à Rosenwiller en novembre et 107 à Westhoffen en décembre.
Les responsables politiques et religieux, ainsi que 82% des Français, estiment que pour contrer l’antisémitisme, la solution est l’éducation. Brigitte Klinkert, présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, compte en particulier sur les Veilleurs de mémoire pour y apporter leur part en témoignant : «s’engager pour qu’une mémoire blessée, outragée, continue d’être préservée.»
Alors que les Français de confession juive confient leur peur et leur solitude, nombreux sont ceux qui expriment leur solidarité et rappellent qu’ils se sentent concernés. Ainsi, suite à la profanation du cimetière de Westhoffen, le président Christian Albecker s’adressait à la communauté juive au nom des communautés protestantes de l’UEPAL : « Nous souffrons avec vous de la lâcheté qui s’en prend à vos morts, qui sont aussi les nôtre. » Lors de leur Assemblée générale en janvier dernier, les membres de la Fédération protestante de France (FPF), quant à eux, ont adressé une recommandation : « Alors que les juifs de France connaissent un fort sentiment d’insécurité, la FPF les assure de sa pleine solidarité. Ils sont les témoins vivants de cette culture commune qu’est l’héritage biblique reçu du peuple d’Israël. »
Gwenaelle Brixius
Les Stolpersteine : honorer la vie
Les Stolpersteine, littéralement une pierre sur laquelle on trébuche, sont des pavés recouverts de laiton et enfoncés dans le sol devant ce qui a été le domicile ou le lieu de travail d’une victime du nazisme. Le 1er mai 2019, lors de la pose d’une Stolperstein à Strasbourg pour honorer la mémoire d’Abraham Lipszyc, au 5 rue des Cordonniers où il avait vécu avec sa famille et où il avait installé son atelier de reliure et son imprimerie, son petit-fils Alain Lipsyc a déclaré : « c’est ce premier mot gravé dans la Stolperstein qui fait le plus sens pour moi : « Ici habitait ». Cette pierre placée sur le pas de la porte de leur maison renvoie à leurs passages, à leurs va-et-vient, à leurs mouvements, à ce qui fut vivant en eux. »
Faire mémoire de la vie pour ne jamais oublier, c’est le sens de l’initiative de l’artiste berlinois Gunter Demnig. Aujourd’hui, 70 000 Stolpersteine sont réparties dans 24 pays. Grâce à l’association Stolpersteine 67, 20 Stolpersteine ont été posées à Strasbourg, 27 à Muttersholtz et 24 à Herrlisheim les 30 avril et 1er mai 2019. Les prochaines poses dans l’Eurométropole sont prévues en avril (2020).
G.B.
Maurice Dahan, président du Consistoire israélite du Bas-Rhin, salue les aspects préventif et dissuasif des Veilleurs de mémoire.
« L’aspect éducatif du dispositif ne doit pas être négligé. La présence passée du judaïsme dans les villages alsaciens devient méconnue. Il faut dire à leurs nouveaux habitants qu’il y a eu une histoire juive dans ces territoires, qui les a enrichis. Parfois, des enterrements y ont encore lieu aujourd’hui. Tout le monde découvre alors un public pas habituel. Les citoyens de base n’ont pas d’autres occasions de vivre ce rappel du vivre-ensemble. Le soutien politique est là. Mais la société est longtemps restée passive face à la violence antisémite. Nous le payons aujourd’hui. Les relations interreligieuses institutionnelles fonctionnent. Nous devons maintenant dialoguer avec la base. Nous en avons la volonté. Le pasteur Pierre Berger a proposé une réunion à Kolbsheim au printemps dernier. De nombreux ex-habitants juifs sont venus. Le Grand rabbin de Strasbourg est intervenu longuement dans une classe à Schirmeck. Le maire de Sarre-Union a accepté une rencontre avec les villageois, mais seulement après les élections. Pourtant, c’est intemporel. Malgré tout, nous allons
continuer d’exister tous ensemble. Nous n’aurons pas peur. Nous continuerons d’apporter notre contribution à travers notre petite communauté. Après l’évacuation des Alsaciens pendant la Seconde guerre mondiale, les juifs comme les autres sont revenus et ont reconstruit. C’était un choix pour la vie. »
Propos recueillis par Claire Gandanger
Veilleurs de mémoire : quand les politiques s’allient aux citoyens
Le dispositif encourage les Alsaciens à protéger les cimetières juifs ruraux par leur vigilance régulière.
Née de l’électrochoc de la profanation du cimetière juif de Quatzenheim en février 2019, l’idée a vite convaincu les élus. Après concertation avec les consistoires israélites des deux départements alsaciens, le dispositif des veilleurs de mémoire a été voté à l’unanimité par les deux conseils départementaux : avant l’été pour le Haut-Rhin, à l’automne pour le Bas-Rhin. « Il s’agit d’un dispositif fort que nous souhaitons inscrire dans le temps long », prévient Brigitte Klinkert, présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin. Le dispositif officiel reconnait aussi bien l’engagement de ceux qui prennent soin des cimetières juifs de leurs villages depuis des décennies qu’il invite de nouveaux citoyens à les rejoindre.
Pour l’heure, 18 bénévoles ont signé la charte du dispositif dans le Haut-Rhin et autant se sont portés volontaires dans le Bas-Rhin. Parmi eux, des agriculteurs, des professeurs, des retraités et des amis de longue date de la communauté juive, femmes et hommes aux valeurs humanistes. Médiatisé jusqu’au niveau national, le projet continue d’élargir son réseau. Dans l’idéal, la surveillance de l’ensemble des cimetières juifs ruraux nécessiterait 80 bénévoles. Au-delà, l’idée complémentaire de faire des veilleurs des relais d’éducation est en réflexion. Les volontaires s’adresseraient aux élèves en classe ou sur site pour préserver la mémoire juive rurale et présenter l’apport du judaïsme aux territoires alsaciens. À suivre…
C.G.
Éveiller la curiosité des jeunes
Pour le veilleur de mémoire et pasteur à Lauterbourg Axel Imhof, les profanations appellent une réponse positive.
« Nous devons signaler que ces actes ne tombent pas dans la banalité. Membre d’une minorité, j’ai conscience du besoin de solidarité. Si des églises étaient vandalisées, j’espère que les non protestants ne regarderaient pas ailleurs. Il n’y a plus de juifs dans les villages où sont ces cimetières, d’où l’importance que d’autres se mobilisent. Au-delà, la lutte à long terme passe par l’éducation et la valorisation de la mémoire des communautés juives. La haine se nourrit de l’ignorance. Dans mon cours de religion, je parle aux élèves de christianisme et des autres traditions religieuses. Je remarque surtout une ignorance totale du judaïsme. Que la Thora et l’Ancien testament sont la même chose et que Jésus était juif les font tomber des nues. Ils arrivent complètement vierges, tant la religion est loin de leur univers, d’où l’importance d’impulser un vrai élan de curiosité pour l’autre. Quand j’y arrive, je suis content. Devant une vidéo de bar mitzvah, adapté à leur âge, ils ont eu un déclic ; des questions ont fusé. Je vais introduire l’antisémitisme par l’histoire juive de Lauterbourg, leur montrer le cimetière à côté du collège. Je prépare un projet pour tous les élèves du collège avec les professeurs d’histoire et l’enseignante catholique : une rencontre le 13 mars (2020) avec Serge Braun, spécialiste de l’histoire juive locale. Sur 1500 habitants, le village a compté jusqu’à 300 juifs ! J’espère que ces jeunes seront moins sensibles aux idées d’extrême droite. »
C.G.
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