Zazaï, le réfugié afghan qui écrit son histoire

Zazaï est arrivé à Strasbourg en février 2014 à l’âge de 15 ans, à l’issue d’un périlleux et interminable périple clandestin de six mois depuis son village pashtoune du nord-est de l’Afghanistan. Huit ans plus tard, il est devenu citoyen français et vient de sortir un livre, Liberté, ma dernière frontière, pour clamer à la face du monde une réalité qui dérange, celle des jeunes migrants lancés sur les routes de l’exode.

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Sans lui demander son avis, sa mère et son oncle lui avaient ordonné de fuir les représailles des talibans, auxquels son père avait osé résister. Sans autre solution, ils avaient confié l’adolescent à un réseau de passeurs qui se sont révélés sans scrupules. Zazaï a traversé huit pays, en partie à pied et longtemps accompagné de deux autres garçonnets dont les rires et la solidarité ont été des appuis précieux. Puis c’est seul qu’il a franchi sa dernière étape, de l’Italie à Paris, avant d’être pris en charge dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance à Strasbourg.

Pourquoi a-t-il été important pour vous de mettre votre récit par écrit?

Je faisais des cauchemars. Julie Ewa, stagiaire dans mon foyer, a proposé de m’aider à écrire mon histoire pour que je me libère la tête. Et c’est vrai qu’aujourd’hui j’ai vidé ma tête de ces souvenirs. Je me souviens de moins en moins de choses. J’avais besoin de donner tous les détails. Il y avait des pages et des pages. Alors elle m’a suggéré d’en faire un livre. Cela a pris quatre ans et demi. J’ai rencontré beaucoup de gens qui ne croyaient pas à ce qui m’était arrivé, que j’étais venu à pieds. J’entendais des blagues selon lesquelles j’étais un taliban. Alors que j’ai justement fui la menace des talibans. Il fallait que ça se sache : que les Afghans qui viennent ici n’arrivent pas avec des facilités. Nous avons quitté notre pays à cause de la guerre. Certaines choses étaient très gênantes pour moi à raconter. Je voulais écrire tout ce qui s’est passé, pour que cette histoire reste, qu’on ne l’oublie pas après la mort des derniers témoins. Ma mère m’a demandé plusieurs fois de lui raconter [Zazaï a pu revoir sa famille réfugiée au Pakistan en 2019, ndrl]. Je lui ai répondu que tout ça appartenait au passé. J’ai envie de lui parler mais je sens que ça va être très dur. J’aimerais faire traduire mon livre en pashtoune. Mais elle ne sait pas lire.

Qu’est-ce qui a été le plus dur dans votre parcours de l’Afghanistan jusqu’à la France ?

Tout. Je ne souhaite cette expérience à personne. Les passeurs nous ont traités comme des animaux. Ils n’avaient pas de cœur et faisaient ça uniquement pour l’argent. Aux frontières, on m’a demandé de me déshabiller plusieurs fois. Dans ma culture et ma religion, on ne fait pas ça. Seule ma mère ou ma future femme auraient le droit de voir ma nudité. Le pire s’est produit en Italie, où les contrôles sont allés encore plus loin dans l’humiliation. C’est grave en Europe. Nous n’étions pas des criminels. J’ai fait des choses interdites dans l’islam. J’ai dû m’abriter dans des boîtes de nuit, où j’étais entouré de prostituées. Je n’avais pas le choix. Mais je suis fier d’avoir tenu ma promesse faite à ma mère. Je n’ai jamais fumé ni bu d’alcool. Pourtant cela était tentant pour faire retomber le stress. À Paris, alors que j’étais un enfant de 15 ans seul à la rue, les gens passaient sans me regarder, en riant, avec à boire et à manger dans les mains. Personne ne m’a posé de question. Étaient-ils trop habitués ? En avaient-ils marre ? Seules des associations sont venues vers moi. Aujourd’hui, si je vois quelqu’un à la rue, je vais le voir. Je suis passé par là. Je ne peux pas supporter que quelqu’un ait faim.

 

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Est-ce qu’à travers ce livre vous vous sentez comme un porte-parole de vos camarades afghans ?

Bien sûr. Tous les jeunes Afghans réfugiés ici ont vécu des épreuves similaires, voire pires encore. Ils connaissent cette histoire. Ils exposent mon livre comme une décoration dans leurs appartements. Quand nous sommes entre nous, nous nous racontons ces histoires. Moi, j’ai eu la chance d’écrire. Ils ont aussi envie de dire des choses mais n’ont pas quelqu’un pour les y aider. Avec le temps, ça change, ils ont progressivement la tête dans autre chose, grâce aux nouveaux amis, au travail… Le sport aide beaucoup aussi. Pour les nouveaux arrivants c’est plus dur. Cela demande du temps de ne plus rester seulement entre nous. La mixité culturelle au foyer et surtout l’école aident énormément.

Vous dîtes justement que Dieu vous a offert une deuxième vie…

Oui, j’ai appris qu’il ne faut jamais lâcher. J’ai eu cette chance d’aller à l’école, d’apprendre le français, de me faire des amis. J’étais le plus sérieux de ma classe. Nous, les jeunes Afghans, avons sauté sur toutes les occasions d’apprendre : le code de la route, les stages, un métier… Ici, j’ai testé beaucoup de choses. J’ai appris à cuisiner dans un restaurant alsacien. J’ai finalement choisi l’électricité, dont j’ai fait mon métier. Comme beaucoup de mes camarades, je ne suis pas allé à l’école en Afghanistan. J’ai appris à lire en français. Je lis désormais aussi ma langue maternelle, le pashtoune, grâce à des amis afghans, mais je ne sais toujours pas l’écrire.

Quel rôle joue la foi dans votre vie ?

J’ai reçu une éducation musulmane traditionnelle. Pendant mon voyage, je suis resté attaché à Dieu tout le temps. Je me répétais que tout ça était peut-être un examen de sa part. Nous allions dans les mosquées dès que nous le pouvions. Prier me rassurait. Mais je dois avouer que j’ai souvent prié pour que Dieu me prenne, pour qu’il me laisse mourir même si cela est interdit dans l’islam. Aujourd’hui, je prie tous les jours. J’essaie de faire mes cinq prières quand je le peux. En Afghanistan, j’étais habitué à prier partout. Ici j’ai appris la laïcité. Je ne prie pas au travail. Je ne priais pas à l’école. Mais la France ne m’a jamais interdit de prier. J’ai été très surpris que les mosquées d’ici ferment tout de suite après la prière commune. En Afghanistan on y restait encore après. Mes camarades et moi n’avons toujours pas compris ça… L’islam est une religion de paix. Quand on me parle d’attentats et de terrorisme, je réponds que les suicidés ne respectent pas l’islam. Ils ne peuvent pas être de vrais musulmans.

Qu’est-ce que vous souhaitez pour l’Afghanistan ?

J’ai eu la chance de venir en France et je me sens la responsabilité d’en faire profiter mon pays. Pour que des gens comme moi n’aient plus besoin un jour de faire des voyages aussi risqués. J’aimerais que la venue d’étudiants afghans ici soit facilitée pour qu’ils reviennent ensuite chez eux avec les normes d’ici. Mais pour ça, encore faudrait-il qu’il y ait des écoles là-bas. Le plus important serait la scolarisation des femmes. Tout commence par l’école. Sinon, elles restent toute leur vie femmes au foyer. J’aimerais qu’elles fassent des études et puissent devenir médecins ou chauffeurs de bus. Que les gens s’ouvrent. Mon pays a aussi besoin d’hôpitaux. Là aussi pour améliorer la condition des femmes. Leurs grossesses doivent être suivies et elles doivent pouvoir accoucher en sécurité. Je suis né à la maison. Qui fait encore ça aujourd’hui ?

Propos recueillis par
Claire Gandanger

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Les mineurs migrants non accompagnés en France

La France a structuré son accueil des mineurs étrangers isolés à partir de 2013. Fin 2014, les Départements prenaient en charges plus de 6 000 adolescents étrangers reconnus mineurs et isolés. Pour la seule année 2017, ils en accueillaient près de 15 000 nouveaux, en grande majorité des garçons. Les arrivants ont été moins nombreux avec la crise du Covid. Les Afghans n’en constituaient que 16,8 % en 2018, loin derrière les jeunes d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb. En France, un jeune qui se déclare mineur doit passer une évaluation pour déterminer si tel est bien le cas, s’il est bien isolé et s’il peut donc être pris en
charge par l’Aide sociale à l’enfance. Cette procédure peut prendre une journée comme plusieurs semaines selon les territoires et les doutes des évaluateurs. Comme les autres migrants en difficultés, beaucoup des jeunes qui ne sont pas reconnus mineurs et isolés se trouvent livrés à la rue, faute d’hébergements d’urgence disponibles. Des associations soutiennent leurs recours et leurs demandes de régularisation. Depuis le retour des talibans au pouvoir, de plus en plus d’adolescents afghans arrivent en France.

Sources : Thémis / Ministère de la Justice

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