Pendant plus de trente ans, Adrien Vonarb a été le seul pêcheur professionnel à temps plein sur le Rhin. Un métier qu'il a sorti des limbes de la mémoire alsacienne, puis réhabilité grâce à une fine connaissance des écosystèmes rhénans. Son moteur : un espoir indéfectible dans le renouveau de ce fleuve.

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À Balgau, ma voix est double. Presque inaudible le long des pentes bétonnées du grand canal. Dans mon vieux lit : chuchotante ou tonitruante selon les saisons. C'est ici, là où je fais frontière, qu'Adrien Vonarb et moi avons appris à nous connaître. Il aimait venir jeter sa ligne dans ce bras sauvage. Et quand d'autres ne se préoccupaient que de leurs prises, lui préférait trifouiller dans les cailloux de la berge. Observer. Découvrir. Apprendre.

Pour ce pêcheur, je n'ai jamais été un simple fleuve. Il parle de moi comme d'un univers à part entière. Une source d'inspiration. Je l'ai fasciné très tôt. Ce qui ne l'a pas empêché de quitter mes rives plusieurs années, le temps d'apprendre la musique à Colmar. Il a ensuite fondé sa propre école de musique, sans me chasser de ses pensées pour autant. À 23 ans, il me dédie d'ailleurs sa première composition. Fin des années 1980, une drôle d'idée fait son lit dans sa tête : devenir pêcheur professionnel sur le Rhin, et en vivre. Lorsqu'il embarque pour ses premières pêches en 1988 pourtant, je suis un fleuve moribond. La catastrophe de Sandoz a tué tous les poissons sur près de 400 kilomètres deux ans plus tôt. Beaucoup le prennent alors pour un fou. Lui ne dévie pas d'un pouce du cap qu'il s'est fixé. Il sait que je ne suis pas mort. Je m'ébroue. Deux crues exceptionnelles m'aident à me nettoyer. Et Adrien Vonarb mène sa barque.

Il croit que c'est possible

C'est un homme de caractère, comme on en voit peu. Plus c'est difficile, plus il s'accroche. Il apprend seul à faire les nœuds de ses filets. Des filets à grosses mailles, pour ne pas prendre les jeunes poissons. Adrien Vonarb ne veut pas être un simple pêcheur sur le Rhin, mais veiller aux écosystèmes. S'assurer que ce qu'il prend ne me manquera pas. À une époque où les pêcheurs misent sur des espèces rares, et donc chères, il choisit de ne pas choisir. De ramener tous les poissons qu'il prend, et de les faire redécouvrir à ceux qui ont oublié mes richesses.

Il apparaît d'autant plus fou aux yeux de certains. Qu'importe. Il croit que c'est possible. Sauf une fois peut-être. Venu présenter son projet à Bayonne, devant 500 pêcheurs en eaux douces, il se heurte au scepticisme. Ne pas sélectionner les poissons ? Quelle idée saugrenue. Une scientifique le raccompagne à la gare. Il lui demande, en toute franchise, s'il est à côté de la plaque. Elle lui répond : «Restez dans cette voie, c'est vous qui êtes dans le vrai. » L'avenir lui donnera raison. Les restaurateurs du coin s'arrachent ses prises. Il se fait connaître des étoilés, et ouvre une conserverie avec son épouse Béatrice pour transformer le reste de ses poissons. Lentement, mais sûrement, en bataillant avec l'administration pour son domaine de pêche souvent, il réhabilite le métier de pêcheur sur le Rhin. Fin 2020, après plusieurs années à chercher un successeur, il confie sa barque et ses bottes à Jérémy Fuchs. Pour autant, nous ne nous sommes pas quittés. Désormais, ce sont des mélodies qu'il pêche dans mes eaux. L'accordéon a remplacé les filets entre ses mains caleuses. Pour mieux accompagner mon chant.

Anne Mellier

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